Le bateau file sur les eaux bleu profond du lagon. En quelques minutes les vagues se forment et commencent à soulever l'avant de plus en plus fort. Assisse sur la petite plateforme, je ne peux m'empêcher d'être soulevée puis de retomber sèchement. Je me cramponne, incapable d'anticiper la prochaine secousse. Si je porte mon regard vers le lagon, des trombes d'eau m’éclaboussent, m’empêchant d'ouvrir les yeux. Au bout de quelques minutes, les vêtements que j'ai gardé pour me protéger du soleil sont détrempés. Pourtant, je suis bien. Comment pourrait il en être autrement? je m'apprête à passer deux jours sur un de ces îlots de la ceinture corallienne de l'atoll où nous nous sommes posés il y a maintenant plus de six mois. un motu, langue de terre blanche, fragile barrière entre l'océan sombre qui gronde constamment et le lagon aux nuances turquoises. Bordé d'une plage de sable et de corail et surmonté d'un enchevêtrement de cocotiers et d'autres arbres sur lesquels nichent une multitude d'oiseaux marins.
Bien sur il y a un peu d'appréhension mais la présence des autres me rassure. Installés sur l'atoll depuis plusieurs années, ils perpétuent la tradition de faire découvrir aux nouveaux arrivés ses beautés cachées. La veille, les bagages étaient prêts, non sans avoir été ouverts à plusieurs reprises. Faut il emmener cela, en aura t-on besoin? Je ne veux pas qu'on imagine que je suis incapable de vivre sans le luxueux surplus de notre quotidien. Alors j'emporte le minimum, une tenue, un paréo, mon matériel de plongée. Et de la nourriture. Parce que je ne suis pas encore prête à ne me nourrir que de ce que la nature nous offre. Parce que mon palais est encore gourmand des produits trop riches de ma vie d'avant, trop bien gâté par la diversité qui caractérise le régime des citadins de métropole. C'est ainsi que se retrouvent dans la glacière des cuisses de poulets et des saucisses industrielles, des pains au lait et des biscuits habitués des rayons des supermarchés.
Entre deux vagues, j'observe la course de nos trois bateaux qui se pourchassent vers l'horizon. Au loin, on devine déjà des touffes d'arbres qui se découpent sur le ciel. On approche, on se concerte avec grand signes des bras pour indiquer la bonne direction, on se suit, on se sépare, chacun connait sa route, on hésite sur la destination. Je me laisse porter, confiante, bien incapable de décider de quoi que ce soit dans ce domaine. tant mieux, c'est comme ça que j'envisage les vacances. Enfin, un des motus est pointé du doigt. Les bateaux ralentissent, la tension monte alors que les capitaines manœuvrent pour éviter les patates de corail qui affleurent à la surface de l'eau. Vite, il faut ensuite sauter, le niveau de l'eau ne permet plus de continuer à avancer. J'ai de l'eau jusqu'à la taille, mon short pèse trop lourd, les sandales ouvertes que je porte ne son pas adaptées, j'aurais du mettre mes chaussures d'eau. Je suis lente. Bonne dernière tandis que les autres avancent en poussant les bateaux, je me sens inutile. Je chasse ces pensées et me délecte de la beauté environnante. Soudain, la voix haut perchée d'un de mes compagnons me sort de ma rêverie: "Fred, requin!". Je me retourne, il est là, à une centaines de pas, il vient droit sur moi, tranquillement. Bien trop gros à mon goût. Alors, malgré mon short, mes sandales, et tout le reste, j'accélère et je fais ce geste appris il y a quelques jours seulement, je frappe l'eau du plat des mains. Je ne peux m'empêcher de retenir un "J'ai peur!", comme une plaisanterie mais c'est juste la vérité. Je frappe l'eau et le requin change de cap. Soulagement. Ils ont beau me répéter qu'ici il n'y a pas de risques, que les seuls accidents se comptent sur les doigts de la main et n'arrivent qu'aux pêcheurs, la peur du requin ne me quitte pas. D'ailleurs, je ne veux pas qu'elle me quitte.
Les ancres sont jetées mais le motu choisi est en fait peuplé d'oiseaux, beaucoup d'oiseaux, trop d'oiseaux. Un petit groupe part en éclaireur à pied vers le motu voisin qu'ils semblent connaitre. En attendant leur retour, je fais le tour de ce minuscule bout de terre en forme de galette. Dans les arbres nichent des gros oiseaux qui nous observent autant que l'inverse, ce sont des "fous aux pieds rouges", dont je vois surtout le bec bleu ciel. J'apprends que les habitants d'ici les attrapent, par le bec puis les fourre dans un sac. Il parait que rôti, c'est délicieux.
Au dessus des arbres, tourne le ballet incessant des frégates et des sternes. En quelques minutes je suis revenue à mon point de départ. Au loin, on nous fait signe. Il faut rejoindre le motu voisin. Retour dans l'eau, il faut tirer les bateaux. Très vite, on aperçoit un puis deux ailerons. Ils sont petits, ce sont des pointes noires, il y en a partout et sont innofensifs. Normalement. Mais je sais qu'ils sont aussi curieux, et qu'ils n'hésitent pas à s'approcher pour venir te renifler, et que leurs petites dents sont bien acérées. Je panique alors que l'eau est plus profonde. Mon homme est là, près de moi, il me guide, me raisonne. Je le suis. Enfin, nous atteignons la terre. Je respire.
Le motu choisi est "aménagé". Les personnes qui y ont séjourné ont installé un abri de fortune sous lequel ils ont placé une table en bois et des bancs. C'est le confort absolu. Les enfants ont aidé une amie à nettoyer la plage des plus gros cailloux, nous y installeront les tentes le soir venu. Rapidement, les bateaux sont déchargés. Je peux enfin quitter mon short et ma chemise que je mets à sécher. Maillot et paréo seront ma tenue pour deux jours. La vie s'organise, chacun vide sa glacière et on commence un feu. Le premier repas est partagé. Les enfants s'amusent à faire griller les saucisses enfilées sur des bâtons. Ils vont passer leur temps d'un bout à l'autre du motu, petits Robinson épris de liberté. A jouer dans le courant qui les ramènent vers le rivage, à dresser des mâts de fortune dans le sable pour disent ils pouvoir repérer plus facilement le motu la prochaine fois. les cheveux emmêlés par les embruns, la peau rougie par le soleil. Ils s'adaptent avec une belle facilité.
Dans l'après-midi, chacun s'occupe à ce qu'il préfère. Un petit groupe part à la chasse sous marine, ils reviendront avec le poisson du soir, perroquets bleus,"tonu" (loche) rouges, "kito" (mérou), chirurgiens, becs de canne. D'autres ramassent des bénitiers. Oui, ces superbes coquillages aux lèvres charnues aux couleurs éclatantes accrochés aux récifs se mangent. Crus, les pieds dans l'eau comme certains dégustent des huitres, ou cuisinés au curry. Pas pour moi, moi je vois les couleurs des poissons, des coquillages et des oiseaux, je les admirent pendant que d'autres y voient de la nourriture. Questions de culture.
Le seul Puamotu de la bande s'affaire, il ramasse les cocos, éventre l'écorce à l'aide d'un pieux de bois, les fends en deux au coupe-coupe. Il me montre l'intérieur spongieux d'une coco germée. Je goûte, c'est doux et sucré. La noix de coco passe de main en main. Chaque demie coco est rapée à l'aide d'un outil spécialement conçu, la chair est récupérée dans un récipient avant dêtre pressée dans un torchon d'où sortira le lait sucré.
Je pars rejoindre les enfants qui s'amusent dans le hoa, bras de mer qui relie l'océan au lagon. Ils sont au loin, près de l'océan. Il me faudra du temps pour y arriver, le sol du platier est un amas de concrétions aiguisées, décor quasi lunaire de couleur sombre sur lequel les pieds dérapent facilement. ll fait chaud, vraiment. Une fois à leur hauteur, ils me montrent comment ils glissent en se jetant dans le courant. Encore une fois, je ne suis pas chaussée correctement alors je me trempe juste au bord, dans une petite piscine naturelle creusée par l'érosion. L'eau est chaude mais me rafraîchit. le retour jusqu'au campement me prendra du temps, mais j'en ai à revendre. Enfin, arrivée, je vais me baigner dans une eau translucide. Bien sur, je guette les éventuels requins. Il y a quelques pointes noires un peu plus loin, et un tout petit, vingt centimètres tout au plus, sur le bord.
Retour de pêche, tout le monde s'assoie dans l'eau pour nettoyer le poisson. On ouvre leur ventre et les entrailles sont jetées au lagon. En quelques minutes, une demie douzaines de pointes noires de toutes tailles arrivent, attirés par l'odeur. On en comptera jusqu'à seize. Étrange sentiment d'admiration et de crainte. L'eau et tellement claire, on pourrait les toucher.
La lumière baisse, c'est la fin de l'après-midi. Nous n'aurons pas droit au coucher de soleil, il y a des nuages sur l'horizon. Il es temps de préparer la nuit. Les tentes se montent le long de notre petite plage puis nous nous regroupons autour de la table. Le poisson grille sur le feu, la bière et le rhum sortent des glacières. Notre soirée commence. Plus tard, nous iront admirer une lune sublime qui monte doucement par delà les nuages. Elle est pleine, soleil de nuit qui éclaire le le corail. Plus tard encore, une expédition est lancée pour aller chasser la langouste sur le platier. Pas pour moi, je suis exténuée de cette journée bien chargée. Avant de me coucher, je m'assoie au bord de l'eau, les requins sont encore là à tourner, magiques.
C'est la chaleur qui me réveille après une nuit agitée. Quelques gouttes de pluie et surtout un grand coup de vent qui retourne au milieu de la nuit la tente d'un de nos compagnons. Il est encore tôt mais d'autres sont déjà levés, le café est chaud. Le ciel est un peu plus couvert que la veille, signe qu'il faudra reprendre la route pas trop tard pour éviter le grain. Le temps s'écoule lentement. Ce matin, j'aide à préparer le pain coco. La chair de la coco germée est broyée. On y ajoute du sucre et de farine puis on laisse reposer. Ensuite, on forme des galettes qu'on glisse entre deux feuilles de kahaia qui sont déposées sur le feu. Je les mangerai en accompagnement d'une salade à la mangue. De temps en temps, quand il fait trop chaud, je descend dans l'eau fraiche du lagon. On s'occupe, des hommes bricolent un moteur de bateau, les enfants sont encore partis en expédition, il y aura aussi des jeux de cartes et des balades. Un rideau de pluie passe, on l'entend arriver au loin, on le suit des yeux puis il disparait.
L'heure du retour est là, même scénario à l'envers, charger le bateau, le pousser jusqu'à ce qu'il y ait assez d'eau pour lancer le moteur et grimper à bord. Les vagues sont plus douces qu'à l'aller mais nous traversons tout de même un grain qui nous trempe. Je tends la main par dessus bord, ici l'eau de l'océan est chaude. Je me laisse porter dans le bruit du moteur. Retour sur la terre ferme, le bateau est extrait de l'eau par le 4x4, déchargé, rincé, rangé. On partage une dernière Hinano avant de retrouver la maison, la tête emplie de belles images.
Magnifique récit...on y est vraiment....quel beau souvenir......une belle aventure pour toute la famille.....et quelle formidable expérience pour les enfants...
RépondreSupprimerCa c'est très beau...comme si on y était...j'aurai tant voulu être près de vous !!! :-)
RépondreSupprimerC est bien aussi les mots! Merci Fred! La bise aux Robinsons!
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